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Ramadan & Evian : les nouveaux dispositifs socio-techniques de Twitter influencent les propagations de crise
Avant-hier, Evian a posté un tweet dans un mauvais timing puisqu'il s'agissait du premier jour du ramadan. J'ai voulu me pencher sur le cas parce qu'il y avait des questionnements, mais surtout parce qu'il y a de beaux enseignements sur l'utilisation des plateformes et ce que ceux-ci changent sur la propagation des crises.
Analyse via Brandwatch
La propagation de la polémique est somme toute classique :
- Réactions négatives : Suite à cela, il y a eu des réactions de personnes dont on ne peut pas affirmer qu'elles soient musulmanes qui critiquent le tweet.
- Article cristallisant : Les réactions font qu'un article sorti apparement de nulle part de la part de CNews est publié. (Il y a ce moment-là , 2969 tweets à peine, mais on verra que c'est plus complexe que le nombre de tweets)
- Réactions antagonistes : Les sphères plutôt réactionnaires ont réagi suivi de défenseurs de la laïcité par la suite.
- Commentaires : La polémique est commentée et analysée
Profitons en également pour dire dès lors que la polémique autour du tweet d'Evian était bien réelle, non crée par l'extrême droite.
Evian face à une paracrise
Evian subit ce que pas mal d'entreprises subissent de plus en plus, à savoir qu'ils font face à une crise de communication qui dépasse sa propre sphère. Les sphères politiques, militantes ou associatives sont en quête de faits d'actualités sur lequel rebondir / réagir / avancer leur agenda et prennent les entreprises dans une polémique. Leur vraie doléance n'est ainsi pas la relation interpersonnelle entre l'entreprise et eux, mais bien dans leur relation avec la société dans son ensemble
L'entreprise est ainsi face à des parties prenantes qui ont des demandes (les théories des parties prenantes disent que celles-ci sont "on demand") qu'elle ne peut pas satisfaire car c'est une controverse qui dépasse de loin ses prérogatives et ses pouvoirs.
Quoi qu'elle fasse, une partie des interlocuteurs aura toujours des griefs ou des doléances. Phénomène qu'on appelle une paracrise. Que faire dans ces cas-là ? (Ce fut le cas de Décathlon, rassemblant d'ailleurs les mêmes communautés) Rien à part le silence, le pas de côté ou invoquer les spectateurs pour plaider sa bonne foi ou son universalisme, dans la mesure où une marque, une entreprise a vocation à ne pas rentrer dans des débats aussi sociétaux, encore plus si elle est une entreprise qui fournit des biens de grandes consommations.
Une propagation totalement inédite à cause des nouveaux processus socio-techniques de Twitter
Mais le plus passionnant dans cette crise n'est pas le phénomène de paracrise qui est un phénomène de plus en plus habituel. Le plus passionnant est la cartographie finale assez inédite pour une crise.
Je rappelle que ce genre de cartographie montre le fait que des acteurs se mentionnent ou se retweetent l'un l'autre, ce qui permet de voir la propagation autour d'une conversation. Je complète la note méthodologique en disant que j'ai pris toutes les expressions Evian (y compris du coup certains bruits) et @EvianFrance
L'essor des tweets cités
Ainsi Evian occupe une place totalement centrale, et tous les acteurs l'ont invoqué ou mobilisé. La raison est assez simple. Elle provient de la fonctionnalité "citer un tweet". Et ils furent extrêmement nombreux à retweeter le tweet (tous les petits points verts autour d'Evian), mais aussi énormément à créer des conversations avec pour base le tweet originel.
Ce qui fait que toutes les propagations ont pour origine Evian et qu'on a donc une cartographie extrêmement centrale pour Evian. Le seul tweet de PatrickAdemo et quelques autres personnes n'avaient pas la mention. Je n'ai pour souvenir qu'un seul cas de ce type avec une crise numérique qu'avait vécu l'agence immobilière La Foret, mais qui était très minuscule. Cela montre bien la place prise par la citation des tweets en un an.
Les personnes qui critiquaient Evian ont été énormement likés tandis que ceux qui critiquaient la réponse d'Evian sont retweetés.
Mais le plus intéressant, et c'est ce qui peut créer d'énormes biais quand on analyse la propagation et qu'on mobilise les outils cartographiques comme je le fais, c'est à quel point le retweet est de moins en moins utilisé au profit du "coeur / like" , feu "favori / étoile". Et cela peut troubler le jeu dans la mesure où nos outils cartographiques n'analysent pas la temporalité des événements (comme je le fais) , et ne prennent pas en compte les likes dans la mobilisation communautaire. Lorsqu'on observe les tweets qui ont réagi, on se rend compte que les tweets ont rassemblés extrêmement peu de RT, mais énormément de j'aime.
On a donc des comptes avec des grosses audiences, qui s'expriment contre Evian en leur faisant part de leur mécontentement. Il y a peu de tweets, il est donc difficile de cartographier le réseau et son importance, mais aussi très difficile de se rendre compte que les tweets ont un impact certain.
Il y a alors deux vues :
- Celle des spectateurs qui voient peu de tweets et de dissémination
- Celle du community manager et une timeline qui "buzz" puisque les interactions de j'aime sur les tweets où ils sont mentionnés arrivent bel et bien de façon massive au community manager.
Conclusion
On comprend donc comment la perception de "crisounette" peut être présente à la fois chez l'analyste qui interprète la propagation, mais aussi par le simple spectateur qui a peu de traces de dissémination présentes via Twitter, et ce alors que dans le même temps, le Community manager a une totale autre perception car il observe le prisme de la crise dans une réalité duale : à la fois via la timeline des tweets ou ses outils de monitoring, mais aussi via sa timeline de notification où un torrent est à l'oeuvre.
Cela démontre bien à quel point les processus sociotechniques (possibilités qui nous sont offertes par les plateformes d'interagir)
- Influence la manière dont nous publions (processus de citation et d'ancrage).
- Influence la propagation des crises et crée des biais méthodologiques d'analyse (passage du favori au coeur qui fait moins de retweets pour plus de likes).
- Créer des perceptions différentes de mêmes faits (flux des tweets vs flux des notifications).
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